Archive | janvier 2014

Vera Vita

 

Complément parfait à mon précédent billet dédié aux souverainistes, glané en haut des cimes  :

« Passant par l’exigence qui serpente au fond des idéologies communiste, anarchiste et socialiste en tant que symptômes de révolte contre l’esclavage moderne, nous la transcendons toutefois, en constatant qu’elle est elle-même imprégnée du même mal : elle ne voit que des problèmes économiques et sociaux, ne demande pas la libération du joug économique en fonction de valeurs différentes, méta-économiques et métaphysiques – non pour que des forces, libérées de la hantise économique, puissent travailler en profondeur, mais seulement pour une solution égalitaire et encore plus socialiste ou « ecclésiastique », réputée meilleure, du problème économique posé par les besoins purement matériels et utilitaires des masses. D’où, dans ces tendances, une méfiance, un refus et comme un ressentiment voilé, ne disons même pas à l’égard du spirituel, mais du domaine « intellectuel » considéré comme un « luxe ». Au-delà de l’équilibre économique, ces tendances n’ont pas d’yeux pour les différences non-économiques – elles ne les voient pas et n’en veulent pas, avec cet esprit intolérant, plébéien et égalitaire d’esclaves en révolte qui servit précisément de base au succès du christianisme primitif. »

Julius Evola, « Impérialisme païen », IV – Les racines du mal européen.

Souveraineté et souverainisme

 

Le fourmillement de souverainistes de toute espèce – dont j’ai pu admirer de bien curieux phénomènes sur twitter, et, disons-le, de véritables drôles,  farouchement fanatiques – est un symptôme manifeste du délabrement intellectuel qui mine l’intégralité de ce qu’il est convenu d’appeler « droite nationale ».

Qui sont-ils, ces « souverainistes » ? Ce sont ces bonnes gens, instruites et douées quelquefois, pour qui il n’est qu’une seule véritable question politique digne d’être posée : celle de l’indépendance absolue de l’Etat national. François Asselineau (cet énarque, ridiculisé et méprisé par maints souverainistes, représente toutefois le souverainisme français dans son état de développement, partant de décomposition, le plus avancé), ainsi, ne balance point à dire que la sortie de l’Union européenne est l’unique objet de son parti ; il accepterait plus volontiers que les nouveau-nés blancs se fissent, sur ordre de la loi « françaaaiiise », rituellement déchiqueter les couilles par des sorciers de Bamako, que de voir la France tendre ses bleus regards vers ses impérissables consœurs d’Europe . Quoique le Front National n’aille pas si loin, il partage implicitement le même soupir : suivant Farine Le Pain, le ressaisissement des instruments de souveraineté législatif, monétaire et fiscal est un préalable nécessaire à tout renouveau national. Cette souveraineté étatique et administrative est avant tout désirée en ce qu’elle augurerait le bienheureux retour des « politiques sociales » ; on la subordonne donc, cette souveraineté talismanique, au sublime impératif catégorique que l’épicier Philippot intitule, avec la merveilleuse éloquence dont son lyrisme est festonné, la « vraie vie », celle, on imagine, des chariots de supermarché, du cadeau d’anniversaire à la belle-sœur, du soutien scolaire de la petite Lydie, du prix au kilo de la viande hachée et des deux semaines de vacances annuelles à La Baule. Mais soit que l’on convoite cette souveraineté pour elle-même, ou qu’on la veuille soumettre à des fins étrangères, la vérité demeure, diantrement brutale : la souveraineté rêvée par les souverainistes n’est pas authentique, c’est un suave fantôme dont les formes se volatiliseront dès qu’on les aura vainement palpées.

  Nous voudrions toutefois préciser que cette philippique n’est pas à la seule destination des souverainistes « franco-français ». Certains « identitaires » euro-régionalistes pourraient également y être défrayés, car eux aussi sont, à leur sauce, piquante et truffée de lardons, des souverainistes, comme le perçut Roman Bernard. En effet, leur pertinace entêtement à refuser tout exercice de l’intelligence ou de l’esprit (auquel ils seraient sans doute inaptes), leur crainte obsidionale de tout ce qui est vu comme « étranger », leur volonté maniaque de repli et de disparition de l’histoire, font que je sens entre eux et moi une bien chiche fraternité d’âme. Leur perception de l’identité, immuablement pastorale et gastronomique, ne m’est peut-être pas plus aimable que celle des souverainistes français, lesquels idolâtrent certes un « monstre froid », une immensité de machinisme et d’orgueil, mais n’en ont pas moins gardé un certain sens de la grandeur politique, une fascination de la puissance.

Il nous reste à comprendre ce qu’est la véritable souveraineté. Le magnifique Joseph de Maistre peignait celle-ci comme « la chose la plus importante, la plus sacrée, la plus fondamentale du monde moral et politique ». On retiendra ici l’emploi d’un mot parfaitement inconnu des souverainistes : celui de « sacré ». Le génie savoyard ajoute : « le peuple est fait pour le souverain, le souverain est fait pour le peuple, et l’un et l’autre sont faits pour qu’il y ait une souveraineté ». C’est une « nécessité absolue », condition de l’« existence sociale ». Par ailleurs, « la souveraineté n’a qu’une loi, sa conservation ».

Mais il faut se défier de croire que de Maistre verserait dans une conception purement matérielle de la souveraineté : « Si l’on en vient à croire que celui qui commande est souverain, ce sera un très grand malheur ». Maxime capitale ! La souveraineté ne se résume pas à l’exercice indépendant du pouvoir politique. Ce fait sacré résulte toujours d’une faveur divine. « Dieu, s’étant réservé la formation des souverainetés, nous en avertit en ne confiant jamais à la multitude le choix de ses maîtres ». Or, ces indécrottables souverainistes fondent précisément leur souveraineté sur ces infections morales que sont la démocratie, le suffrage universel et la République issue de la révolution de 1789. Ils vocifèrent contre une UE « antidémocratique », comme si la démocratie était par essence vertueuse. De Maistre vit ce qu’il en était : « il n’y a pas de véritable souveraineté dans les républiques ». La République des souverainistes, indifférente à toute entité supérieure, vide de toute quête initiatique, est vouée à l’échec, et ceci pour la seule raison que sa supériorité, n’étant nullement établie en rien de suprême et d’éternel, est temporaire, vacillante, éphémère, fondamentalement illégitime. Malheureusement pour vous, souverainistes, l’histoire prouve assez combien le suffrage universel, à démontrer qu’il ait pu être une véritable source de pouvoir et qu’il n’ait pas simplement péri au cours des journées de juin 1848, est impuissant à bâtir la moindre souveraineté ; et son principe même, suivant lequel « les enfants choisissent le père » (Léon Bloy), répugne immédiatement à tout homme sain. Il est vain de combattre la postmodernité avec les instruments de la modernité ; vous ne faites que sauter dans la fosse où l’on clouera votre cercueil.

En réalité, il n’adviendra pas de restauration de la souveraineté qu’une révolution spirituelle n’ait d’abord déblayé tous les débris de ce vieux monde matérialiste, obscur, égoïste. C’est peut-être la venue du Paraclet que tant ont espéré. Ce changement ne se fera pas grâce à des élections, des grèves, des manifestations, des révoltes ou des incendies. Il se fera par un retour sur le Soi, par une découverte de la part divine secrètement celée en tout homme et en toute chose. Seule une infime élite se réalisera ainsi ; mais elle détiendra alors le sceptre de l’Empire du monde, rien ne pourra l’atteindre. Il faut alors que je cite à nouveau cette parole sublime du philosophe chambérien, qu’on ne répétera jamais assez :

« Le gouvernement seul ne peut gouverner. C’est une maxime qui paraîtra d’autant plus incontestable à mesure qu’on la méritera davantage. Il a donc besoin, comme d’un ministre indispensable, ou de l’esclavage qui diminue le nombre des volontés agissantes dans l’Etat, ou de la force divine qui, par une espèce de greffe spirituelle, détruit l’âpreté naturelle de ces volontés, et les met en état d’agir ensemble sans se nuire. »

 Francis Parker Yockey, dans Imperium, semble animé d’une intuition similaire :

An important fact has been touched upon with this: it is not the rulers who are sovereign within the meaning of this law [of sovereignty]. Their powers in fact are derived from their symbolic-representative position. If a stratum represents and acts in the Spirit of the Age, revolution against it is impossible. An organism true to itself cannot be sick or in crisis.

Voilà en synthèse la principale critique devant être portée aux doctrines souverainistes, dont on ne doit pas craindre de dire qu’elles sont sacrilèges. Dire cela, ce n’est rien dire encore des multiples apories qui les rongent : leur croyance à la souveraineté effective d’un Etat-nation de 65 millions d’habitants, dont de nombreux déjà relèvent de loyautés étrangères, et dans un monde de bientôt 9 milliards d’habitants où la substance européenne sera tantôt diluée ; leur tropisme « francophone » et africain, détestable relent d’une colonisation qu’ils repoussent pourtant de tout leur dégoût au nom de cette même « souveraineté » ; leur conception atomiste et juridique d’Etats souverains égaux entre eux et respectant leurs autorités réciproques, quand la souveraineté, marquée du caractère divin, n’est pas un « droit acquis », un principe intangible du « droit international public », mais une lutte continuelle, une guerre impitoyable menée pour sa conservation et son unité ; leur négation, enfin, du fait ethnoculturel et des dispositions innées dont est doué chaque peuple de la terre, leur faisant croire à une « assimilation » d’éléments par nature étrangers à cette culture, et la pensée conjointe que la structure administrative et juridique de l’Etat peut se permettre d’ignorer les données biologiques, culturelles et spirituelles qui ont présidé à sa formation ; leur obsession antieuropéenne, provoquant l’oubli de ce que la plupart de nos maux viennent plutôt de l’action de nos Etats nationaux, Etats qui dominent encore nettement les institutions « européistes ». Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, mais ces questions sont tout à fait subsidiaires. La réalisation spirituelle suffira d’elle-même à éteindre ces autres maux, de sorte qu’il est futile de les vouloir décrire par le menu : la connaissance intérieure fera se résoudre les rares différences extérieures. Les Européens du Moyen-Âge étaient divisés en une foule de royaumes, de cités-Etats, de suzerainetés diverses ; ils n’avaient ni langue, ni monnaie communes ; pourtant, leur unité spirituelle existait bien, et leur communiquait infailliblement qui étaient leurs véritables ennemis.

 Emitte Spiritum tuum et creabuntur;
Et renovabis faciem terrae.

 Amen.